D’une amie qui vous veut du bien…

Par Anne Archet

Cette lettre vous est envoyée pour vous aider à fuir
L’original vient de Croatan
Elle a fait soixante fois le tour du monde

La possibilité de fuir vous est offerte
Elle se présentera dans les neuf jours
Qui suivront le partage de cette lettre

Ceci n’est pas une plaisanterie

Partagez cette lettre
Et vous échapperez à la grande main
De plomb chaud et de fer rouge
Qui nous aplatit contre terre
Qui nous brise les ailes

Partagez cette lettre avec des gens
Qui en ont marre de se contenter de la survie
Qui veulent rejoindre le monde des vivants

Anikó Török a partagé cette lettre
Elle a ajouté en bas de la liste
Sa tactique de sabotage
Neuf jours plus tard
Elle est devenue invisible
Loin du regard du Léviathan

Zorin Barrachilli n’a pas partagé cette lettre
Neuf jours plus tard
Il était toujours un employé modèle
Un honnête citoyen
Un esclave docile
Un mort vivant

Cette chaîne ne doit être interrompue
Sous aucun prétexte

Partagez votre tactique de sabotage
Partagez votre plan d’évasion
Et reprenez un peu de la vie qu’on vous a volée
Ce faisant, vous percerez aussi des trous
Dans les murs de notre prison commune
Vous élimerez les liens que nous partageons
Qui fendent notre chair et brisent nos os

J’ai mis de la colle forte dans la serrure de toutes les portes extérieures du bureau.

Je vole systématiquement quelque chose chaque fois que je vais à l’épicerie.

J’ai mis des laxatifs dans le café des flics.

J’ai couvert les murs de la ville de mots rebelles.

J’ai spiké des arbres destinés à être abattus avec des clous de douze pouces.

J’ai fait changer de fausses erreurs sur tous mes papiers officiels et je fais recorriger sans fin par la suite.

Je donne des réponses fantaisistes et contradictoires dans les sondages d’opinion.

Je vole tout ce que je peux à mon employeur, surtout des trucs qui ne me servent absolument à rien.

J’ai détourné de la pub comme on renvoie une bombe lacrymogène aux flics.

J’ai tiré sur les lentilles des caméras de surveillance avec mon fusil à paintball.

J’ai décidé de n’être ni un homme, ni une femme et de toujours cocher toutes les cases sur les questionnaires – et je m’indigne quand on m’appelle «madame» ou «monsieur» au téléphone.

J’ai parsemé les traductions des textes administratifs que je suis chargée de réviser des mots «smegma», «noune», «chaude pisse», «bizoune» et «glaire cervicale».

Au travail, je m’arrange pour être en pause, en formation imaginaire ou en réunion avec des gens inexistants le plus souvent possible.

J’ai mis du sucre dans le réservoir à essence des bulldozers.

Je classe systématiquement les documents importants aux mauvais endroits, surtout les dossiers de créances en souffrance.

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